Sélectionner une page
Étienne Hatt

Rédacteur en chef adjoint d’artpress
Critique d’art
Commissaire d’expositions

« De l’uniformisation à l’appropriation » : tel est le sous-titre du mémoire de fin d’études que Louise-Margot Décombas a consacré à l’une des cités ouvrières Michelin de Clermont-Ferrand.
La formule vaut aussi pour ses sculptures qui, riches de références autobiographiques, détournent un banal aux connotations populaires pour mieux donner à voir des formes usées par le regard et des usages déconsidérés. L’intention n’est pas sociologique mais le travail traversé par la notion de classe.
À partir de l’observation de son quotidien et de ses proches, dont témoignent depuis 2012 les photographies de La Bagagerie – gros plans de corps dans leurs environnements –, l’artiste procède par réduction, agrandissement, déplacement, association ou encore fusion. Vue mer (2019) est un balcon comme on en voit dans les cités balnéaires du sud de la France, mais trop petit pour qu’on puisse y contempler l’horizon ; Besándome otra vez (2019) un abribus des routes d’Auvergne converti en boîte de nuit qui diffuse à vitesse réduite un tube des années 90 ; Écran total (2021) un mobilier de jardin anthropomorphe ; Un peu usée pour le cœur (2022) une boule à facettes surdimensionnée qui brille de moitiés esseulées de colliers d’amitié…
De ces travaux dépourvus de toute ironie ou, au contraire, de toute complaisance, sourd une douce mélancolie, celle de l’ennui, du temps qu’il faut tuer, seul ou à plusieurs. Mais aussi une joie, vive, qui se manifeste dans des formes rebondies, des matières généreuses et des couleurs puissantes.

In Après l’école, catalogue de la 2e Biennale artpress des jeunes artistes, Le Mo.Co. Panacée, Montpellier, 2022

Emma Vallejo

Artiste et curratrice

Là où il y a des gens, il y a des choses.
Cette phrase, empruntée à L’Innommable de Beckett, pourrait tout aussi bien avoir été prononcée par Louise-Margot Décombas. Car il y a chez elle, et jusque dans ses gestes de sculptrice, une croyance assez forte en la survivance des objets, en ce que les objets font persister. C’est un attachement à leur histoire et à la charge des souvenirs dont ils deviennent la représentation. Nous créons des objets, nous les utilisons, nous les aimons, nous les transmettons, ils sont traversés.
Il y a d’abord une enquête et un regard photographique porté sur les scènes d’abandon. Louise-Margot coupe, découpe, arrache de son environnement des morceaux, des fragments de couleurs, de matières.
Puis elle reconstruit, ailleurs.

Écran total rappelle un mobilier de jardin désuet. Un parasol couleur caramel surplombe l’ensemble, il est constitué de colle teintée. Les quatre chaises et la table sont une tentative anthropomorphique de chairs agencées : un mélange de mollets, de cuisses, de fesses, de ventres, taillés dans le plâtre et la résine puis peints et vernissés.
La scène potentielle que nous voyons apparaître pourrait-être un repas silencieux, une réunion familiale pesante, ou un rassemblement amical sous un soleil écrasant. Mais le mystère n’est pas complètement levé.

Les sculptures de Louise-Margot sont des objets-gens, des objets-personnes. Elles sont là, immuables et fortes. Ni rebuts, ni décors abandonnés, c’est un autre temps qui peut commencer. Elles inventent un nouvel espace possible, un nouveau présent, épais, une autre façon d’être au monde.

Candidature au Prix Dauphine pour l’art contemporain, Paris, 2022

Écran total, 2021, 180 x 200 x 200 cm, plâtre, résine acrylique, colle Cléopâtre, peinture acrylique
Julie Crenn

 

Docteure en Histoire de l’Art, Université Michel de Montaigne, Bordeaux III
Critique d’art, membre de l’AICA
Commissaire d’expositions

Louise-Margot Décombas a grandi à Clermont-Ferrand. Elle arpente les cités Michelin et observe avec attention les paysages de maisons ouvrières qui participent de son imaginaire ancré dans un réel populaire. Il en est de même pour les cités balnéaires de la côte méditerranéenne où elle passe ses vacances en famille. Ses œuvres, sculpturales et photographiques, sont nourries de ses souvenirs, de l’empreinte de formes, de matériaux, de couleurs, de corps.
L’artiste travaille à partir de formes vouées à disparaître, de matériaux désuets, d’environnements méprisés et invisibilisés. L’architecture des cités balnéaires est générique, collective, tournée vers la mer. Il n’est donc pas étonnant que Louise-Margot Décombas ait reproduit un balcon recouvert d’un lourd crépi rosé. L’artiste transforme l’échelle du balcon, trop petit pour être fonctionnel, trop grand pour être un jouet. Parce qu’il y a là aussi l’idée d’une maison de poupée, d’une cabane d’enfant que l’artiste transpose dans le présent.
Les photographies renvoient aux jeux de plages, aux couleurs criardes des maillots de bain, au sable collé sur la peau, aux jouets en plastique, aux châteaux de sable et aux serviettes éponges. L’artiste photographie régulièrement des éléments de son quotidien. Les images constituent une base de données de matières rugueuses, de corps fragmentés, de couleurs. Elle photographie à la manière d’une sculpteure.

Pour la Biennale de la Jeune Création, elle réalise une œuvre inédite qui rassemble l’objet et le corps. La douche de plage, qui fonctionne ici comme une fontaine, hybride en effet l’objet fonctionnel et des bribes de corps agrégés au béton cellulaire. Le bassin est recouvert de carreaux de mosaïque, qui, comme le crépi, le béton, le plexiglas, le polystyrène et la résine participent d’une architecture vernaculaire et joyeusement populaire.

In Catalogue de la 13e Biennale de la jeune création, La Graineterie, Houilles, 2020

Douche froide, 2020, 195 x 185 x 130 cm, béton cellulaire, bois, plâtre, résine acrylique, mosaïque, résine époxy, peinture glycérophtalique, pompe
Camille Paulhan

 

Docteure en Histoire de l’Art, membre associé du Laboratoire de recherches HiCSA, Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Critique d’art, membre de l’AICA
Commissaire d’expositions

L’univers chromatique de Louise-Margot Décombas s’annonce d’emblée comme singulièrement débridé : dans ses
photographies, le bleu électrique, le jaune poussin et le rouge criard dominent.
Pour ses sculptures, elle n’hésite pas à utiliser du rose layette, du lilas et de l’orange vif de majorettes.
Et les textures sont à l’avenant : la préciosité et le bon goût l’ennuient, elle leur préfère la compacité du crépi, le velouté du satin, la rugosité des franges, autant de matières quelque peu reléguées généralement dans la catégorie du vernaculaire ou du kitsch – avec toute la condescendance que l’usage de ces termes peut revêtir.
Au contraire, il y a chez Louise-Margot Décombas une réflexion aussi bien joyeuse et tendre que mélancolique sur l’univers pavillonnaire, qui passe par une analyse méthodique de ses représentations comme de ses incarnations. Elle s’intéresse ainsi à ces lieux emblématiques des zones périurbaines, postes de contrôle et d’observation autant que d’ennui ou de sociabilité :
abribus, balancelles, balcons… Mais les échelles ont été modifiées, quelque chose cloche, à l’instar d’un mégot géant affalé à la manière d’un ado sur une de ses sculptures, ou de son arrêt d’autocar transformé en boîte de nuit à la musique
étrangement lancinante. Même si ses photographies ne montrent pas de visage, l’individualité des corps est partout, même dans ses fessiers en résine et polystyrène, intitulés Coéquipières, saucissonnés par des combinaisons en lycra.
Ici, pas de discours surplombant : au royaume de la pétanque, des parasols GiFi, des tables de camping en plastique et du gazon synthétique, la tendresse et l’humour sont roi et reine.

In Finale, catalogue des diplômés 2019 des Beaux-Arts de Paris, Éditions des Beaux-Arts de Paris, 2020

Coéquipière, 2019, 90 x 40 cm, résine acrylique, polystyrène, tissu, perles